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Photo du rédacteurMaurice Johnson-Kanyonga

"Lettre ouverte à l’attention de Monsieur Franck Vandenbroucke,Ministre fédéral de la Santé"

Dernière mise à jour : 28 janv. 2021



Monsieur le Ministre de la Santé,


En quelques jours, le nombre d’établissements scolaires fermés a bondi plus vite encore que la courbe de contamination. L’inquiétude concernant le variant anglais augmente car il est plus contagieux et ne semble plus épargner les jeunes. Les spécialistes se prononcent sur la question, partagés entre prudence et urgence, entre nord et sud, entre ouverture et fermeture ; pendant que la jeunesse -à bout- crie pour que l’on entende sa douleur…


J’ai lu dans la presse que les experts conseillaient le gouvernement dans la lutte contre le COVID-19, je me permets donc de vous écrire aujourd’hui, en prévision du conseil de concertation spécial jeunesse qui se tiendra jeudi lors duquel il sera question des « jeunes » et surtout de la fermeture des écoles. Je souhaite vous faire part de mon point de vue, de mon expérience de spécialiste de l’enfant et de l’adolescent et de ma pratique quotidienne au contact de ces jeunes dont il est tant question.


Beaucoup de pays européens ont pris la décision de fermer les écoles les jugeant responsables d’être une importante chaîne de transmission du virus. Bien que les enfants ne tombent que très peu malades (moins d’1% de cas d’hospitalisation) ils sont encore et toujours considérés comme vecteurs de l’épidémie.


Rarement notre jeunesse n’a autant été malmenée par cette crise. D’abord oubliée lors du confinement de Mars dernier, ensuite accusée d’être responsable de la propagation de l’épidémie, elle est maintenant l’objet de toutes les promesses et toutes les attentions sans pour autant lui offrir un espace d’expression et une place à la table de discussion.


Au mois de mai de l’an dernier, j’interpellais déjà les responsables politiques des conséquences sur la santé mentale de nos enfants. L’impact du confinement sur les contacts sociaux, les retards d’apprentissage (en particulier pour les plus petits, ceux qui suivent l’enseignement fondamental) et le manque d’activités sportives, artistiques, culturelles ou simplement ludiques représentaient les ingrédients d’un cocktail indigeste et nocif pour la santé des jeunes.


Aujourd’hui, je reviens en insistant encore et toujours sur la nécessité de préserver le bien-être de cette jeunesse qui reste bâillonnée, négligée et mise de côté.


La santé n’est pas que physique, les composantes psychique et sociale méritent également d’être prises en compte. La lutte contre l’épidémie de coronavirus ne se limite pas non plus à la réduction des chiffres de contamination. Elle s’étend, aussi et surtout, à la prise en charge des dommages collatéraux, en particulier chez les plus vulnérables d’entre nous, …jeunes inclus.


Fermeture d’écoles, pas de plan social ni de syndicat


Des chercheurs ont observé l’effet des contraintes sanitaires sur l’éloignement social des individus.

Fermer les écoles reviendrait à isoler nos jeunes, entraînant des conséquences plus graves encore que des retards d’apprentissages. Priver nos jeunes d’école, c’est leur retirer leur statut social, leur ôter leur lieu d’activités ; c’est nier le principal espace de développement de leurs compétences et d’expression de leurs talents, c’est finalement leur couper les derniers liens qui les unis à notre communauté solidaire.


La vitalité de notre jeunesse nous rappelle combien les fondamentaux en matière de santé doivent être préservés et valorisés. Nos jeunes possèdent naturellement un système immunitaire plus performant que celui des adultes.

Les contacts physiques et les échanges qu’ils entretiennent entre eux renforcent leur système de défense -souvenez-vous de comment on encourage les jeunes mamans à placer leur enfant en crèche afin que bébé fasse ses maladies. Les parents qui, par devoir -et acquis de conscience maintenant que les cantines scolaires sont fermées- veillent à offrir une alimentation la plus saine et la plus équilibrée possible contribuant à renforcer l’immunité.

Certes, le déjeuner se fait en classe mais heureusement, les cours d’éducation physique se tiennent toujours dans un lieu dédié offrant quelques heures par semaine hautement bénéfiques au fonctionnement optimal du système immunitaire. Mieux encore, une école ouverte, c’est encore la possibilité pour les plus jeunes de courir deux fois quinze minutes par jour lors des récréations, ce qui représente 30 minutes d’activité physique journalière recommandée par les spécialistes. Et pour les tous petits, les heures de psychomotricité prévues dans leur programme sont essentielles à leur développement physique, psychique et social.

Enfin, plus on est jeune, moins on est exposé à la consommation de produits comme le tabac ou l’alcool dont les impacts et les conséquences sur la santé ne sont certainement plus à démontrer.


Bulle de contact, bulle d’oxygène


Fermer les écoles reviendrait à priver cette jeunesse de sa dernière bulle d’oxygène vitale à son bien-être pris dans son ensemble. La fermeture des établissements scolaires lors du lockdown a montré combien elle était perturbante pour un équilibre sain. Avec toutes les activités qui sont à l’arrêt, nos adolescents n’ont plus de raison valable de se lever le matin. Pire, ils comblent leur ennui par une exposition accrue aux écrans, grands perturbateurs des cycles du sommeil, une autre composante d’un système immunitaire efficient.


L’exposition aux écrans est déjà suffisante pour tous ceux qui suivent une formule d’enseignement hybride qui se traduit par une moitié de temps de cours donnés en ligne. Cette forme d’enseignement, considérée comme moderne, ne devrait être qu’une solution d’appoint tant elle a déjà montré ses limites. Les difficultés de suivi et d’adaptation et le décrochage scolaire qui en découlent ont notamment été mis en exergue dans un rapport de la Fapeo, la Fédération des Associations de Parents de l’Enseignement Officiel.


L’enseignement en distanciel, comme il est dorénavant d’usage, ne remplace pas le présentiel. D’abord parce que cette approche ne peut pas se substituer à une classe et à son environnement. Enseigner est une activité qui va bien au-delà de la simple transmission de savoir. C’est avant tout une relation unique entre professeurs et élèves qui se traduit dans tous les échanges qui ont lieu dans cet espace d’apprentissage qu’est une classe. La méthodologie, l’ambiance, l’humour -ou la sévérité- d’un enseignant, les expressions caractéristiques de son visage et son langage non verbal, les anecdotes qui illustrent et rythment ses cours sont impossibles à reproduire sur un écran.

Ensuite, mettre en place un système d’enseignement à distance passe notamment par la formation des enseignants pour les doter des outils de demain mais aussi -on le sait moins- par un changement de culture en matière d’apprentissage dans le chef des apprenants qui entretiennent, en Belgique, une dépendance (saine, ndr) vis-à-vis de leurs professeurs.


Se rendre à l’école, c’est encore l’opportunité de trouver un terrain propice au débat, un espace de dialogue entre jeunes et adultes. C’est avoir la chance de bénéficier d’un accompagnateur dont la tâche est d’offrir un regard objectif et positif sur le monde dans lequel nous vivons.


Priver nos jeunes de cette opportunité revient donc à les abandonner à leurs questionnements, à leurs interrogations, les renvoyant sur des espaces en ligne, à défaut de mieux, où pullulent notamment les théories conspirationnistes les plus farfelues sur l’origine d’un virus qui bouleverse nos modes de vie.


L’espoir, encore et toujours


Le seul coupable, le vrai, c’est la négligence.


La négligence de quelques-uns qui refusent d’observer les mesures de protection et les gestes barrière, la négligence de ceux qui s’entassent dans une file pour s’offrir la dernière paire de chaussures à la mode, la négligence surtout d’avoir mis de côté la prévention de la santé dans ses trois composantes (physique, psychique et sociale) et la promotion d’un mode de vie sain. La négligence encore de ne pas avoir compris que la pandémie produisait de nouveaux comportements, moins solidaires et plus individualistes.


Monsieur le Ministre, ne sacrifiez pas cette jeunesse, notre avenir, avec laquelle nous devrons compter au moment de la reconstruction qui nécessitera plus qu’un plan stratégique destiné à relancer la demande, si chère à la croissance économique.


Il y a quelques mois, à la question de savoir s’il fallait garder espoir malgré l’état de dépression collective qui nous menaçait, j’avais répondu par l’affirmative. J’avais insisté pour que l’on fasse confiance à notre jeunesse et en son impressionnante énergie. J’avais rappelé que nous pouvions garder espoir en cette formidable capacité que l’être humain a de se remettre en question.


Aujourd’hui, j’ai l’espoir que vous entendrez mon appel.







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