L’Institut National de Statistiques constatait dans une récente étude qu’un étudiant sur cinq vivait sous le seuil de pauvreté avec moins de 900,00 EUR par mois qui correspondent à 60% du revenu médian.
L'étincelle est partie d'un jeune étudiant qui s'est immolé, dans un acte désespéré, préférant "mourir plutôt que de vivre dans la misère" déclenchant ainsi la colère populaire qui conduisit à l'éviction du président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali.
Mohamed Bouazizi, devenu vendeur ambulant pour survivre, restera le symbole du déclenchement de plusieurs protestations et révolutions que l'on retiendra sous le nom de Printemps arabe
J'accuse !
Loin de l'affaire Dreyfus, actuellement revisitée au cinéma, un jeune homme de 22 ans, en grande difficulté financière, s'est grièvement brûlé vendredi dernier en s'immolant en pleine rue devant un restaurant universitaire de la ville de Lyon. Touché à 90%, il était toujours entre la vie et la mort à l'hôpital ce mardi. Il a expliqué son geste dans un message sur Facebook avant d'agir. Il y évoque ses difficultés financières, sur fond de revendications politiques.
"Aujourd'hui je vais commettre l'irréparable. Si je vise le bâtiment du Crous (Centre régional des œuvres universitaires et scolaires, ndr), ce n'est pas par hasard. Je vise un lieu politique, le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, et par extension le gouvernement […] j'accuse Macron, Hollande, Sarkozy et l'UE de m'avoir tué en créant des incertitudes sur l'avenir de tous", a-t-il indiqué.
Fini la guindaille !
Intenter à sa vie par le feu pour témoigner de son désespoir n’est malheureusement pas un fait nouveau dans notre société. Par contre, ce qui surprend, ce qui interpelle largement aujourd’hui, c’est qu’il s’agit d’un acte qui vise à sensibiliser l’opinion publique sur le coût des études et les difficultés dans lesquelles sont plongés certains jeunes…de pays industrialisés.
Chems Mabrouk, présidente de la FEF (Fédération des étudiants francophones), souligne que l’acte désespéré de Lyon relance le débat sur la précarité étudiante: « ce qui est clair, c’est que ça a marqué tous les esprits. Ça a été un geste fort qui a été fait par cet étudiant. Aujourd’hui, ça demande des réponses politiques. Partout en Europe il faut que les gouvernements prennent leurs responsabilités et diminuent le coût des études ».
La FEF rappelle également que les demandes de bourse ont significativement augmenté ces dernières années.
Par ailleurs, c’est aujourd’hui un étudiant sur quatre qui doit travailler pour payer ses études avec de lourdes conséquences sur la réussite dans la mesure où cet emploi entre en concurrence directe avec les obligations estudiantines.
L’Institut National de Statistiques constatait dans une récente étude qu’un étudiant sur cinq vivait sous le seuil de pauvreté avec moins de 900,00 EUR par mois qui correspondent à 60% du revenu médian.
La précarité étudiante a gagné du terrain en l’espace de 15 ans multipliant par huit le nombre de jeunes ayant recours au CPAS. La paupérisation des familles, due à l'augmentation des coûts de la vie et principalement des logements, combinée à une crise de l'emploi, rend également difficile l'accès aux études supérieures ; entre le minerval, le transport et le logement, les supports de cours et le matériel annexe à se procurer, le coût d'une année d'étude s'élève entre 8.000 et 12.000 euros par étudiant.
Pour ces raisons les étudiants revendiquent une réduction du minerval au plus bas (175,00 EUR), un remboursement de tous les supports et matériels de cours pour tous et un refinancement public de l’enseignement supérieur à hauteur de ses besoins.
Un budget jugé insuffisant
Devant les revendications des étudiants qui scandent notamment "plus de fric pour l'enseignement public" le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a prévu d'assurer un refinancement de l'enseignement supérieur de quelques 50 millions d'euros sur la législature. Un montant jugé insuffisant par les acteurs du secteur qui estiment les besoins à hauteur de 100 à 150 millions.
Valérie Glatiny, la nouvelle ministre de l’enseignement supérieur défend le décret paysage qui vise à harmoniser les écoles supérieures et les universités selon les critères définis par l’Union européenne mais qui reste décrié par de nombreux académiciens qui le considèrent comme nuisible à la qualité de l'enseignement.
Les universités à l'heure de la globalisation
Depuis près de 15 ans, l’université connaît un malaise. Comparée à l’étranger, la réputation des universités belges se dégrade, les conditions de vie des étudiants sont souvent jugées archaïques et les programmes déconnectés des réalités actuelles.
Même si les établissements belges jouissent d’une belle reconnaissance à l’échelle nationale, l’Université catholique de Louvain et l’Université Libre de Bruxelles se classent au-delà de la 150ème place au niveau international, avec un top 10 qui contient huit américaines et deux britanniques.
En 2019, pour la 17ème année consécutive, l’université de Harvard se place en tête du classement devançant sa compatriote Stanford (où le Roi Philippe de Belgique a étudié). L'université britannique Cambridge conserve la troisième place du podium acquise en 2018.
Créé en 2003, le classement international des universités, communément appelé dans le jargon : le classement de Shanghaï, prend en compte des critères comme la qualité de l’enseignement, le nombre de prix Nobel décernés, le nombre de chercheurs primés ou les articles publiés dans des revues de références comme Nature & Science.
La concurrence pour l'université est une réalité quotidienne qui date du XIXeme siècle, quand Napoléon a créé les grandes écoles à côté des universités pour y former une partie des meilleurs élèves du lycée. Aujourd’hui, la concurrence internationale est extrêmement vive pour attirer les meilleurs étudiants. Le modèle de démocratisation de l’éducation et d’ascension sociale qu’elle permet est de plus en plus menacé par une privatisation de l’enseignement supérieur qui se fait à l’étranger, transformant doucement l’étudiant en client et privant ainsi les candidats issus des milieux sociaux les plus défavorisés de l’accès à un vecteur d’émancipation.
Une bulle financière de 1.500 milliards de dollars
Elles sont les meilleures du monde …mais elles coûtent cher, très cher. Entre 15.000 et 30.000 dollars par an de minerval pour les universités américaines, voire près de 75.000 dollars pour Harvard, championne toutes catégories.
Bien que les bourses universitaires existent également de l’autre côté de l’Atlantique, des millions d’étudiants sont obligés d’emprunter de l’argent pour financer le coût d’un cursus. D’après la FED (Réserve fédérale), le montant total des encours sur ces emprunts a dépassé les 1.500 milliards de dollars en 2018.
Mais plus que ces chiffres qui donnent le tournis, c'est la vitesse à laquelle ils augmentent qui inquiète. Toujours selon la FED, au premier trimestre 2008, le montant total de la dette étudiante se chiffrait à 579 milliards de dollars. Cela représente tout de même une augmentation de 150% en 10 ans. Aujourd'hui, environ 44 millions d'Américains se sont endettés pour financer leurs études.
Près d'un cinquième doivent plus de 100.000 dollars, d'après l'Association nationale des agents immobiliers qui explique ainsi leurs difficultés à acquérir un logement.
Plus grave encore, de nombreux diplômés sont obligés d’accepter un emploi qui ne correspond pas toujours à leurs aspirations afin de pouvoir remplir leurs obligations contractuelles vis-à-vis des organismes de crédit, quitte à rallonger la durée de l’emprunt qui peut se grever au-delà de 20 ans…
Certains travailleurs rencontrent des difficultés dans l’acquisition d’un logement ou font même le choix de retarder le désir d’avoir des enfants, faute de moyens suffisants.
Quelques économistes annoncent d’ailleurs que si le Congrès ne prend pas des mesures promptes, la situation pourrait devenir dangereuse en cas de ralentissement de l’activité économique avec le risque de mener à un crash similaire à celui de 2008, en cas d’éclatement de cette bulle du crédit étudiant…
Avant le brasier
Chez nous, les universités ne réclament pas (encore ?) des droits d’inscription aussi élevés mais on voit déjà des institutions financières sur le marché qui proposent des crédits « étudiant » pour le financement des études.
La question du financement de l’enseignement supérieur est donc un sujet brûlant pour lequel le gouvernement va devoir jouer les pompiers ; sinon faire le choix d’étudier pour l’amour de l’apprentissage et de la découverte, pour s’armer face aux exigences du marché du travail ou pour se préparer aux réalités d’une vie d’adulte accompli (et pour de nombreux jeunes, la chance d’échapper à une précarité galopante) s’apparentera à une affaire financière pour laquelle le choix de s’endetter jeune, comme étudiant ; pour ensuite avoir le droit de s’endetter encore après en étant plus âgé, comme travailleur, deviendra une norme.
A défaut de s’embraser ou de s’immoler cela reviendra à brûler la chandelle par les deux bouts…
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